1) Ce serait un boulot énorme de créer ça, et pas sûre qu’on en soit capable. Quels mots choisir ? Pour quel niveau ?
2) Il y a peu de chance que l’on s’y tienne donc ça serait pas mal de boulot pour pas grand-chose.
Bref, sujet toujours en réflexion malgré quelques heures passées à y travailler! Par contre on est tombé d’accord pour être plus vigilantes au travail du lexique « en contexte ». Quand un mot demande à être expliqué à la classe, le mettre de côté et revenir plusieurs fois dessus, par divers moyens. Je vous renvoie à cette conférence de Roland Goigoux, vers 2h53 (Toute la vidéo est intéressante et à regarder, bien sûr, mais pour le sujet du jour, il y a environ 10 minutes d’intervention).
Comme on travaille beaucoup l’orthographe, et en particulier son lien avec la production d’écrit, plusieurs fois durant notre discussion, on a dérivé sur les listes de mots à savoir orthographier, on a parfois malgré nous confondu un peu les 2. C’est plus simple, car ces listes ont le mérite d’exister. Sauf qu’il y en a plusieurs, avec chacune ses intérêts et inconvénients. Pas si simple donc ! Petite enquête au pays des listes…
Je vous mets l'article en pdf, plus confortable à lire: listes lexique orthographe
Les listes de fréquence
Chouette, il y en a une sur Eduscol, site officiel ! (parce qu’il y a plein de choses bien, sur les sites officiels, mais ils sont tellement bien fichus, faut juste être expert en recherche et avoir du temps à perdre…) .
C’est dans la partie vocabulaire, comme quoi ce lien liste de lexique/liste orthographique n’est pas très clair. Il est recommandé de faire apprendre au CP les 45 premiers mots de cette liste (Lire au CP, p.65, toujours sur Eduscol). On est donc dans la compétence orthographique, alors qu’ailleurs la liste est présentée comme attirant « l'attention sur des mots très fréquents que les élèves utilisent peu, voire pas du tout, parce qu'ils ne les comprennent pas bien. » Pas tout à fait la même chose.
Comme l’objectif de faire apprendre des mots, c’est que les élèves rédigent avec moins d’erreurs, j’ai fait une petite recherche de mots dans les productions de CE1, le genre de mots qui sont susceptibles de revenir assez souvent (très subjectif comme choix). Voilà quelques exemples de classement avec cette liste:
Le souci de cette liste de fréquence, constituée par Étienne Brunet, c’est qu’elle est basée sur un gros corpus de textes de littérature du XVIIIème au XXème siècle. Il y a quelques différences entre la prose d’un CE1 et même d’un CM2 et celle de Flaubert (pourtant on y travaille J !).
La base Manulex
Il s’agit là encore d’une liste de fréquence, mais cette fois-ci le corpus de référence est composé de 54 manuels scolaires du CP au CM2.
J’avoue que je ne comprends pas toutes les subtilités de cette liste, mais j’ai mené la même recherche que précédemment, en regardant les fréquences des manuels du CP.
Il faudrait voir quels sont les mots, présents dans les, disons, 500 premiers mots de la liste de Brunnet, qui sont absents des 500 premiers de Manulex. Je n’ai pas poussé l’enquête jusque-là…
En tout cas, la base Manulex semble plus adaptée aux élèves du primaire.
Mais ce qui reste compliqué avec cette approche, c’est que les mots les plus fréquents sont souvent des mots « difficiles », avec des particularités graphiques. Il est donc difficile de les apprendre, mais aussi de se reposer dessus pour mener un enseignement de l’orthographe appuyé sur les récurrences.
L’échelle Dubois Buyse
Créée en 1940, elle a été actualisée plusieurs fois. Elle repose a priori sur deux critères : facilité de compréhension et orthographe simple. Pas de lien avec la fréquence. Les mots sont rangés par échelons de difficulté, et à chaque niveau scolaire est attribué un certain nombre d’échelons. Vous pouvez trouver cette liste sur tableur chez Charivari.
Le principe est intéressant, et le gros avantage, c’est que comme cette liste n’est plus toute jeune, elle est bien connue et pas mal de ressources qui s’appuient dessus existent (dictées, exercices…).
Les problèmes, sinon ce ne serait pas drôle :
Si on regarde le nombre de mots à apprendre par année, au CE1, 230mots, soit un peu plus de 6 mots par semaine. Chez nous, ma collègue se limite à 4, mais comme elle ne fait apprendre que les mots « à pièges », ça doit être kif-kif. Quand on passe au CM2, 934 mots pour l’année cette fois, soit plus de 25 mots par semaine. Là ça me parait quand même un peu trop non ?
Autant quand on regarde les mots des premiers échelons, les mots semblent « coller » à l’âge, au niveau des élèves (quoique « brique » ou « vigne » au CP, bof…tu sens qu’ils voulaient mettre tous les sons), autant quand on se penche sur les échelons du CM2, on s’en éloigne un peu beaucoup. Les 5 premiers mots par ordre alphabétique : abondance, activer, activité, adjectif numéral, administration. Alors c’est pas mal, on développe le vocabulaire (au moins la semaine où ils les apprennent…), mais on me semble un peu éloigné des attendus orthographiques à ce niveau. Je doute qu’il y ait beaucoup de réinvestissement dans les productions d’écrit.
Pour ceux que ça botte quand même, j’ai déniché un autre tableur, qui permet cette fois de trier les mots par classe ET par similitudes orthographiques (les mots en dr, en ac…). Ça permet de rassembler les mots de façon moins aléatoire, et d’aider à les retenir en les associant, de dégager des régularités.
EOLE
C’est une autre Echelle d’Acquisition en Orthographe Lexicale, fruit d’une recherche action menée par Béatrice Pothier dans les années 2000. L’enjeu d’EOLE est de favoriser un enseignement raisonné parce que hiérarchisé de l’orthographe lexicale, accroissant ainsi son efficacité. EOLE permet de vérifier si les mots proposés (dans une dictée par exemple) sont du niveau de l’élève. On considère qu’un mot bien orthographié par au moins 75 % des élèves de ce niveau fait partie des mots « de sa compétence ».
D’après cette enquête, si on prend en compte les termes réussis à 75%par les enfants, on a donc des résultats qui semblent assez encourageants :
L’idée est donc d’axer son enseignement sur les mots situés dans la « zone proximale de développement », enfin c’est comme ça que je le comprends. Se focaliser sur ces mots réussis à 75% dans un niveau, et préparer ceux qui le seront dans le niveau supérieur.
2 utilisations sont proposées par l’auteur :
- Dans le cadre d’un écrit de l’élève, en cas d’erreur, si les mots n’appartiennent pas à la compétence lexicale du niveau de l’élève, l’erreur est corrigée par l’enseignant sans faire l’objet d’un apprentissage. Si les mots font parti de cette compétence, ils sont travaillés systématiquement.
- Dans le cas d’une dictée d’évaluation, le maitre compose son texte en respectant les mots « dans le niveau de compétence », et fait travailler systématiquement les mots qui sont juste au-dessus de ce niveau.
Si je suis cette logique, il faudrait se servir de cette échelle pour déterminer les mots à apprendre chaque année. Allons regarder quels sont ces mots réussis à 75% par les élèves pour le CE1… Les 1er par ordre alphabétique : abominable, aborder, acharner, acheminer, admirateur. Bon. Au premier regard, pas vraiment les mots utilisés par les élèves. Au second, on comprend pourquoi ces mots sont plutôt réussis : ils ne comportent pour la plupart pas de « piège »*.
J’ai l’impression qu’avec cette démarche, on prend le problème à l’envers. Ces mots sont ceux qui posent le moins de problèmes aux élèves, est-ce un bon motif pour se focaliser sur eux ? Est-ce que justement, si ces mots posent moins de problème, s’ils sont massivement réussis l’année en cours ou la suivante, il faut passer du temps sur eux ? Ça me questionne vraiment…
Si j’en reste aux utilisations proposées par l’auteur :
Dans le cadre d’une dictée d’évaluation, d’accord. On construit une dictée en utilisant des mots qui devraient être maitrisés, on y ajoute quelques mots vus en classe ou contenant des régularités étudiées. A ce moment-là on peut analyser le type d’erreurs commises sur les mots supposés être dans la compétence de l’élève.
Dans le cadre de la production d’écrit, là ça me semble infaisable. D’abord, le principe est que chaque élève écrit quelque chose de différent ; donc 24 élèves, 24 textes à étudier avec cette loupe, en se référant à l’échelle à chaque mot. Si on utilise l’application fournie sur CD-ROM, 24 textes à saisir pour avoir l’étalonnage de chaque mot. Admettons qu’on vive dans un monde merveilleux où les élèves puissent saisir leurs productions eux-mêmes chaque semaine (car si c’est une fois par mois je ne vois pas l’intérêt); il va falloir ensuite que je prépare un travail différent à chacun afin qu’il s’entraîne pour maitriser ces mots qu’il devrait connaître à son niveau.
Au-delà de ce problème de temps (pas minime, comme problème, quand même), étudions un cas pratique fictif (à peine caricatural…) ; un CE1 écrit :
« Il faut toujour être charritable. »
« charitable » fait partie des mots de la compétence CE1, « toujours » fait partie des mots hors niveau (même pas réussi en CM2). Donc quoi ?
Soit on entraîne l’élève sur « charitable » en lui disant « Mais si, c’est fastoche, t’écris comme ça se prononce ! Bon, c’est pas souvent vrai mais là vas-y fais-toi plaisir! ». Parce que je ne vois pas trop ce qu’on peut lui dire d’autre dans ce cas…
Soit on choisit d’entraîner l’élève plutôt sur le mot « toujours », qui s’il présente une difficulté, est un mot qu’il sera amené à lire et écrire très fréquemment.
Personnellement je n’hésiterais pas longtemps.
Verdict : Je suis un peu ennuyée, mais je trouve que ça ressemble à une recherche degrande envergure, très intéressante dans la démarche et dans les conclusions que l’auteur en a faites, mais pour laquelle l’application pratique me semble plus incertaine. Il y a un autre ouvrage, qui donne des exemples de diagnostiques et remédiations pour chaque niveau sur la base de cette échelle, mais si la partie « analyse des erreurs » ne fait pas de mal à revoir, la partie «exercices-jeux d’imprégnation » me laisse plus perplexe quant à son efficacité, son intérêt et sa possibilité de mise en œuvre.
Si des collègues se servent de cette échelle pour de vrai, je serais très intéressée de savoir comment.
NB : Ces auteurs se sont également penchés sur l’orthographe grammaticale, toujours avec cette démarche de recherche du « possible » à chaque niveau, et cette fois j’ai beaucoup plus accroché. Pour un apprentissage raisonné de l’orthographe syntaxique Du CP à la 5e.
*Ce qui est vrai pour le CP ne l’est pas forcément après. Ainsi, un mot comme charlatan est réussi à 75% en CP, et baisse jusqu’à 23% en CM2.
La liste du MELS
Le MELS, c’est le Ministère de l’éducation du Québec. Il a pris à bras le corps le problème de l’orthographe, et a fait collaborer chercheurs en linguistique et en didactique du français pour créer une liste de mots à savoir écrire pour chaque niveau de classe.
Les mots retenus pour le primaire répondent à plusieurs ou à l’ensemble des critères suivants privilégiés par les chercheurs :
− Fréquence d’utilisation élevée d’un mot dans le corpus d’œuvres analysées (critère prioritaire).
− Possibilité d’utilisation du mot par les élèves dans une diversité de textes.
− Possibilité de plus d’une signification (mot polysémique) selon le contexte (ex: table de cuisine, table de multiplication, table des matières, tour de table).
− Possibilité de relation avec d’autres mots dans des expressions ou des constructions syntaxiques courantes (ex. : table de chevet, table à dessin; restes de table; table ronde, bonne table; dresser la table, se lever de table, se mettre à table).
Ça semble donc rassembler tous les critères ! Si je regarde les 5 premiers mots du CP (1ère année) : à, aile, aimer, air, ami ; pour le CM2 (=5ème année) : abandon, aboiement, accès, acclamation, accordéon. Ces mots semblent convenir à la classe d’âge visée. En plus, le guide du ministère propose tout un panel d’activités et un outil informatique très intéressant (que j’utilise souvent d’ailleurs) pour trier les mots. J’avais déjà parlé de cette liste l’an passé , et des super collègues qui avaient travaillé ensemble à la création d’exercices pour chaque niveau.
Le hic, quand même, selon moi, est encore une fois le nombre de mots par année. De 200 mots au CP (5 par semaine) à 850 au CM2 (24/semaine), même s’il s’agit de mots assez familiers aux élèves, ça me semble difficile à tenir. Je ne comprends même pas comment l’objectif peut être si haut en 1ère, mais l’organisation des apprentissages doit être un peu différent de chez nous. Peut-être que pour une adaptation française, il faudrait tout décaler d’un an (et retirer les mots comme « soccer » évidemment !).
Je me demande comment nos collègues et surtout leurs élèves s’en sortent. Zazou, si tu passes par-là !
Conclusion
Et bien comme souvent, il va falloir se débrouiller, composer un joyeux mélange de tout ça : une pincée de liste de fréquence, un soupçon de liste québécoise, quelques gouttes d’EOLE pour relever, le tout accompagné de choix cornéliens en espérant ne pas trop se planter… Quelques heures de joyeuses concertations en perspective !
Concernant le comment enseigner ces mots, j’ai aussi lu une synthèse de recherche qui montrait, accrochez-vous, que si on faisait apprendre les mots, et bien ils étaient mieux connus. Incroyable non ? Je suis moqueuse ; heureusement, la recherche était plus intéressante que sa conclusion… Un peu comme cet article, quoi !
Je m’étais frottée à la question de l’apprentissage en classe avec les CP il y a 2 ans, avec beaucoup de plaisir mais une efficacité très relative… (Article explicatif et bilan) A améliorer !