Image : Le petit Chaperon quoi ?, Raphaël Fejtö
Ben non !
Une seule solution, la planification !
On ne va pas s’auto-flageller à longueur de temps, mais on est un peu beaucoup responsables de l’image que les élèves peuvent avoir de l’écriture. S’ils se « lancent » sans planifier leur texte, c’est sans doute parce qu’on ne leur a pas appris. Alors certes, ils passent par un brouillon, mais celui-ci est souvent un premier jet qui sera peu modifié (ou juste remis aux normes) plutôt qu’un réel écrit de travail. Cette année, devant ce constat, j’ai décidé de mettre l’accent sur la planification au cours des projets d’écriture, en utilisant différentes approches.
Planifier, c’est-à-dire ?
Les premières modélisations de la production d’écrit apparaissent dans les années 1980 avec les travaux d’Hayes et Flower. Elles font alors émerger trois grandes opérations constitutives de l’acte d’écriture : la planification, la mise en texte et la révision. Ce modèle a été conçu à partir de données issues de travaux portant sur l'adulte. Il n'est ni immédiatement transposable à l'enfant ni adapté aux questions relatives à l'apprentissage, mais permet d’avoir un « modèle » sur lequel se baser.
Chez le scripteur expert, ces opérations sont le plus souvent réalisées simultanément ou alternativement. L’écriture n’est pas un processus linéaire ; planifier, c’est avant d’écrire, mais c’est aussi pendant écrire*. Si l’on commence un texte par la réflexion sur les buts qu’il poursuit et la recherche de son plan, celui-ci, au cours de la mise en texte, est susceptible d’être modifié. C’est l’avantage du brouillon, qui permet alors rajouts, suppressions, déplacements.
La planification est donc un temps de réflexion, de mobilisation de son matériel (textuel et intellectuel), qu’il faut se ménager à plusieurs moments de l’écriture. Ça s’apprend, et donc ça s’enseigne.
*Si j’osais, j’insérerais une capture de mon écran au moment où j’écris cette phrase, qui est pour le moment au milieu d’un beau bazar, mais qui je l’espère va s’insérer naturellement dans le produit fini. Ou être transformée, ou disparaitre.
La planification, si on regarde les programmes, ça correspond à ça :
Je suis déçue, rien là-dessus sur Eduscol, alors que les docs d’application sont vraiment pas mal. Mais ils n’insistent pas sur ce moment de la démarche d’écriture. Bizarre. Dommage.
Je vais vous présenter quatre outils utilisés cette année pour planifier un texte (récits essentiellement) avec les élèves.
Utiliser un diagramme pour planifier un portrait :
J’appelle cet outil diagramme, mais ce n’est pas vraiment le bon terme… Il s’agit d’un ensemble de questions/critères qui doivent permettre à l’élève de définir son personnage. Dans ce travail, l’élève de CE2/CM1 devait se représenter un personnage physiquement (facile). Mais il devait assigner à celui-ci une identité, et un but, à court ou long terme, afin de lui donner un peu d’existence. À partir de là, il devait chercher quelles qualités (au sens large) lui attribuer. En effet, selon la couleur qu’on entendait lui donner, on n’en dirait pas la même chose. Il était entendu que la séquence suivante serait consacrée à l’écriture d’une histoire arrivant à ce personnage.
Il s’agissait donc, à travers cette planification, d’éviter les biais courants avec ce type de texte : accumulation de qualificatifs, manque de cohérence entre ceux-ci, attention aux caractéristiques physiques avant tout (« Il a un pantalon bleu, un pull rouge et des chaussures noires. » --> Passionnant^^).
Une fois ce diagramme complété par des mots, des bribes de phrases, pas à pas, en prenant le temps de la réflexion, il a été corrigé orthographiquement. Ainsi, quand l’élève a écrit son texte (brouillon) en assemblant les informations, il a pu se concentrer sur la mise en texte, tout comme l’enseignant pendant sa correction.
Exemple de production :
« Jean-Marc (sic) est un garçon, grand, sportif, fort mais au visage doux. Il veut voler pour avoir de l’argent, pour être riche. Mais il a peur de se faire arrêter par la police. Il est courageux, il court vite mais il est bavard, menteur et tricheur. »
Les documents de la séquence :
La préparation de la séquence complète prep séquence portrait
Le diagramme de planification fiche personnage
Des portraits à lire (pour comprendre le genre, les effets des choix lexicaux, voler des tournures) des portraits à lire.docx des portraits à lire 2.docx
Un lexique apporté aux élèves banque mots portrait livret.pdf
Utiliser une grille de la structure narrative pour réécrire un conte :
Voici un outil que j’utilise beaucoup depuis quelques années. J’en parlais déjà dans cet article sur l’écriture d’un conte en groupe. Il s’agit dans un premier temps de faire émerger la structure narrative classique d’un récit, pour l’utiliser ensuite comme une trame d’écriture pour son histoire. On se situe dans la continuité du travail mené en CE1 sur la structure d’un récit.
Cette année, l’un de nos projets était de réécrire une version contemporaine du Petit Chaperon Rouge après étude littéraire.
Dans un premier temps, on a résumé en collectif (dictée à l’adulte) l’histoire, en s’appuyant sur le schéma narratif classique (situation initiale, élément perturbateur…). Puis on en a tiré la structure propre à ce récit. Pour la partie péripéties, ça donnait quelque chose comme ça :
Ensuite, on n’a gardé les colonnes 1 et 3 dans un document que les élèves rempliront avec leurs idées. Pour finir, une fois l’ensemble de la planification établie, ils écriront leur texte dans la colonne de droite.
On a ainsi eu l’histoire d’un garçon qui se faisait piquer sa place dans la file du supermarché (pas passionnant a priori mais très bien écrit et très drôle !), une autre d’une jeune fille se faisant voler le bouquet qu’elle allait porter sur la tombe de sa mère (par l’ancien amant de celle-ci, toujours éperdument amoureux), ou encore une histoire d’échange d’évaluation pendant que la maitresse regardait ailleurs. Très loin du Petit Chaperon de base, donc, mais avec cette même idée de fond : un ennemi qui veut faire perdre son temps au héros pour faire un mauvais coup, un héros qui ne se méfie pas.
Document complet (agrandi en A3) : grille transposition PCR.pdf
J’utilise souvent ce type de grille pour aider à la planification des récits. Un autre exemple pour l’écriture à partir d’une page des Mystères de Harris Burdick de Chris Van Allsburg.
Document grille mystères trame réflexion CM2 CM1 AUTRE LIEU, AUTRE TEMPS.docx
Utiliser le brouillon oral collaboratif pour écrire un récit :
J’ai déjà fait un article complet là-dessus, je vous y renvoie !
Utiliser une carte mentale pour bâtir un récit :
Testé cette année, après avoir lu l’EXCELLENT ouvrage de Muriel Lauzeille paru cette année chez Retz. L’auteur y expose une séquence dans laquelle le portrait d’un personnage est planifié grâce à cet outil, qui s’y prête très bien. Elle propose aussi d’utiliser une carte pour organiser la relecture d’un texte selon des critères définis ensemble, super aussi, mais c’est un autre sujet…
Forte de cette lecture motivante, je me suis lancée pour planifier collectivement l’écriture d’un récit à partir d’une image des Mystères de Harris Burdick de Chris Van Allsburg.
Oui, je sais, ça se voit que c’est ma première et que ce n’est pas pour rien que j’écris sur ordi…
Ce travail collectif (CE2/CM1) permettait de se mettre d’accord sur l’histoire qui serait ensuite écrite individuellement. Les élèves construisaient ensemble la trame de leur récit, et la carte mentale permettait en outre d’avoir une trace de l’orthographe des mots que les élèves seraient amenés à écrire ensuite. Pour ce récit, nous avions planifié le début collectivement, mais le dénouement était laissé libre à l’imagination de chacun.
Même si la planification est collective, les élèves vont faire des choix d’auteur différents par la suite.
Pour finir, je vais sensiblement copier ce que j’écrivais dans mon article pour le cycle 2. Si je ne devais retenir que deux leçons de ma petite expérience en production d’écrit en cycle 3, je dirais que ce sont celles-ci :
Planifier les écrits de l’élève avec lui, pour lui apprendre, ensuite, à le faire seul.
Parce que c’est un moment riche d’apprentissages qui permet de rendre explicite l’acte d’écrire. On y parle structure des textes, stratégies d’écriture, mise en mots, correction de la langue, lexique, …
Parce que ça permet à l’élève de se mettre à l’écrit en sachant ce qu’il va écrire, et donc de dissocier un peu dans le temps les compétences liées à la production de texte et les autres.
Parce que c’est une étape indispensable à l’écrivain, par laquelle il faut faire passer nos élèves (avant le brouillon, il y a le plan, ça s’apprend).
Outiller l’élève, afin de le rendre capable de réaliser le travail qu’on attend de lui, de le rendre plus autonome.
Cela veut bien sûr dire l’outiller intellectuellement, en lui donnant les bonnes armes : compétences et connaissances nécessaires.
Et puis aussi l’outiller matériellement, avec des supports adaptés. Des outils de planification, mais aussi des outils pour écrire : lexiques, banques de textes desquels s’inspirer, leçons sur le dialogue, …
Avec ça, la production d’écrit avec les grands, même plus peur !
Si vous souhaitez approfondir cette question, je viens de trouver cet article !
Bernadette Kervyn et Jérôme Faux, « Avant-texte, planification, révision, brouillon, réécriture : quel espace didactique notionnel pour l’entrée en écriture ? », Pratiques[En ligne], 161-162 | 2014, mis en ligne le 05 juin 2014, consulté le 19 août 2017. URL : http://pratiques.revues.org/2172 ; DOI : 10.4000/pratiques.2172